Érudit:Compte rendu Ouvrage recensé : Alain de Libera, Raison et foi. Archéologie d’une crise d’Albert le Grand à Jean-Paul II , Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, 512 pages.

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Compte rendu
Ouvrage recensé :
Alain de Libera,
Raison et foi. Archéologie d’une crise d’Albert le Grand à Jean-Paul II
, Paris, Le
Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, 512 pages.
par David Piché
Philosophiques
, vol. 32, n° 1, 2005, p. 259-263.
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Comptes rendus
Alain de Libera,
Raison et foi. Archéologie d’une crise d’Albert le Grand à
Jean-Paul II
, Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003,
512 pages.
Dans
Penser au Moyen Âge
, un essai qu’il faisait paraître en 1991, Alain de Libera
proposait une nouvelle interprétation de la célèbre condamnation parisienne de 1277.
Le médiéviste français y avançait entre autres une thèse audacieuse qui, depuis, a été
loin de faire l’unanimité : la créativité de l’acte de censure. Alors que la plupart des
médiévistes insistent sur le caractère réactionnaire de la mesure épiscopale, Libera,
réactivant au passage la critique foucaldienne de « l’hypothèse répressive », affirme que
la condamnation de l’évêque Tempier a paradoxalement inventé le projet philoso-
phique qu’elle entendait pourtant contrecarrer et, ce faisant, a rendu possible sa dif-
fusion à l’extérieur de l’enceinte universitaire. Dans
Raison et foi
, Libera persiste et
signe. Cette thèse est maintenue. Mais notre auteur a sensiblement modifié le tir sur
au moins deux points.
D’abord, l’événement de 1277 est recadré dans un scénario plus vaste, que le
médiéviste français appelle « la crise parisienne de 1270-1277 ». Dans ce scénario,
c’est le Thomas d’Aquin polémiquant contre les partisans de l’unité de l’intellect qui
tient le premier rôle. Selon la lecture de Libera, l’Aquinate met au point une stratégie
logique redoutable qui aura pour conséquence d’enfermer ses adversaires, certains
maîtres en philosophie de l’Université de Paris, au premier rang desquels se trouve
Siger de Brabant, dans une attitude épistémologique auto-contradictoire, qui consiste
à affirmer la nécessité de thèses philosophiques rationnellement établies et à procla-
mer simultanément la vérité des enseignements opposés de la foi catholique. C’est
précisément à titre d’adeptes de ce que l’historiographie a baptisé « la doctrine de la
double vérité » que les membres de la Faculté des arts de Paris (les professionnels de
la philosophie à l’époque) seront condamnés par Tempier. « Ils disent en effet que
cela est vrai selon la philosophie, mais non selon la foi catholique, comme s’il y avait
deux vérités contraires » : la formule de l’évêque fera fortune. Ainsi, selon Libera,
Tempier prolonge violemment sur le registre du politico-religieux une intervention
que Thomas avait magistralement et finement déployée sur le plan de la stricte argu-
mentation philosophique.
Une deuxième ligne de démarcation qu’il importe de souligner entre
Penser au
Moyen Âge
et
Raison et foi
, la plus importante puisque c’est par elle que passe l’axe
central autour duquel Libera a composé son dernier essai, concerne l’évaluation du
rôle qu’a pu jouer Albert le Grand dans cette « crise parisienne de 1270-1277 ». Libera
soutient ici avec force une thèse qui n’était présente qu’en sourdine dans le percu-
tant ouvrage de 1991 : bien qu’Albert ne fût nullement un protagoniste de la crise en
question — il n’était plus à Paris lorsqu’elle eut lieu —, son œuvre, dont le noyau
dur à ce chapitre est le
De intellectu et intelligibili
, constitue la matrice textuelle d’où
naîtront les prises de position philosophiques stigmatisées de façon décisive par
Tempier en 1277. Cette alliance tacite entre la pensée d’Albert et celle des philosophes
condamnés à Paris est postérieurement scellée par la virulente critique que le chancelier
Gerson adresse au Colonais à l’aube du
xv
e
siècle. Pour Libera, Gerson est à Albert
PHILOSOPHIQUES 32/1 — Printemps 2005, p. 259-289
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