LA VOIE MYSTIQUE:L’autobiographie du père Surin

LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

L’autobiographie du père Surin

Ferdinand CAVALLERA, sj

TABLE

Le texte primitif

I. Le Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer en la possession d’une fille possédée

II La Science expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des Ursulines de Loudun.

DEUXIÈME ÉDITION DE LA SCIENGE EXPÉRIMENTALE
ET DU TRIOMPHE

L’édition du « Solitaire »

L’ÉDITION DE L’« ECCLÉSIASTIQUE »

LES ÉDITIONS IMPRIMÉES DE 1828 ET 1829

NOTES

 

 

La plupart des lecteurs connaissent sans doute, au moins de vue, un chétif in-douze, publié en 1828, intitulé : Histoire abrégée de la possession des Ursulines de Loudun et des peines du P. Surin (Ouvrage inédit faisant suite à ses œuvres). A Paris, chez l’éditeur, au bureau de l’Association Catholique du Sacré-Cœur, rue des Postes, n° 24 [1]. En tête, un Avertissement de l’éditeur, qui débute par ces mots : « L’ouvrage inédit du P. Surin que nous publions est connu de beaucoup de personnes, des copies du manuscrit qui le renferme se trouvant dans plusieurs bibliothèques particulières, quelques auteurs l’ont déjà cité avec éloge. Ainsi l’authenticité n’en sera pas contestée. » C’est  tout ce qui est consacré à la question d’auteur et aux origines de l’ouvrage. Celui-ci se présente d’ailleurs d’une façon assez compliquée, en quatre parties, comprenant chacune deux livres ; les deux premières concernent la possession de Loudun ; les deux dernières exclusivement les peines dont le P. Surin souffrit plus de vingt ans, à la suite de sa participation aux exorcismes, et les grâces singulières qu’il reçut au cours de cette même période. L’ensemble présente donc une certaine unité, puisque, dans les deux premières parties, c’est surtout le rôle du P. Surin et sa manière d’exorciser qui sont mis en lumière en même temps que leurs excellents effets sur la libération de Jeanne des Anges.

Or dès l’année suivante, paraissait à Avignon, chez Seguin aîné, un autre volume, de format analogue et de contenu semblable, avec un titre un peu différent : Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer et la possession de la mère prieure des ursulines de Loudun. Première partie et Science expérimentale des choses de l’autre vie avec Le moyen facile d’acquérir la paix du cœur. Ouvrages posthumes du P. Jean-Joseph Surin de la Compagnie de Jésus [2]. L’avis de l’éditeur se montrait plus explicite que l’avertissement du précédent et fournissait sur les origines de cette publication les détails suivants : [3]

Le Manuscrit original des Œuvres posthumes que nous publions est composé de quatre Parties. La première a pour titre : Triomphe de l’amour divin sur les Puissances de l’Enfer, en la possession de la Mère Prieure des Ursulines de Loudun : on y trouve les détails les plus instructifs et les plus piquants sur cette célèbre Possession, la méthode que le Père Surin suivit pour chasser les démons, et des renseignements précieux pour la conduite des âmes dans les voies spirituelles. La seconde Partie contient le récit des peines inouïes que les démons firent souffrir au Père Surin, après qu’il les eut chassés du corps de la Mère Prieure, et la troisième les grâces extraordinaires dont il fut favorisé de Dieu. La quatrième Partie a pour titre : Science expérimentale des choses de l’autre vie. Elle contient de nouveaux détails sur la Possession dont l’Histoire se trouve dans la première Partie. L’auteur se sert de ces faits prodigieux pour établir la réalité des Démons et donne ensuite, d’après les dépositions mêmes de ces esprits infernaux, des notions très curieuses sur leur nature et leur puissance et sur ce qu’il appelle l’économie du Royaume des ténèbres. Cette quatrième Partie étant comme la suite et la conséquence de la première, doit être lue immédiatement après celle-ci. C’est pourquoi nous les avons réunies dans ce volume. La seconde et troisième Partie, traitant de sujets un peu différents et qui d’ailleurs ne conviennent pas à toutes sortes de personnes, formeront un volume séparé. L’authenticité de ces ouvrages est incontestable. Leur existence était depuis longtemps reconnue : ils sont cités dans plusieurs livres et notamment au chapitre III de la IIIe Partie d’une vie du P. Surin que le célèbre M. Boudon, Grand-Archidiacre d’Evreux, a publiée… M. Boudon les avait eus entre les mains, et en a même inséré plusieurs fragments en divers endroits de son livre. Il serait donc superflu d’insister davantage sur ce point. Quand au style, on le trouvera fort négligé, mais nous avons dû le laisser tel quel.

Délibérément ou non, l’éditeur de cet ouvrage ignore, on le voit, la publication parisienne de l’année précédente. Nous ne pouvons l’imiter. D’où le problème qui se pose nécessairement : l’un et l’autre de ces textes se donnant comme œuvre inédite du P. Surin et offrant en grande partie le même contenu : quel est celui dont les prétentions sont justifiées ou plutôt qu’en est-il de l’authenticité de l’un et de l’autre [4] ? Si l’on se reporte au passage indiqué de Boudon, la difficulté augmente. Il renferme une précieuse liste [5] des écrits alors encore inédits du P. Surin. On y lit après deux autres titres :

Le Triomphe de l’amour divin sur les Puissances de l’Enfer.

Un traité de la Perfection.

Plusieurs livres de la science expérimentale acquise en la possession par les démons des religieuses Ursulines de Loudun.

Un traité des secrets de la grâce…

Les deux parties de la publication de 1829 sont donc présentées ici comme formant deux ouvrages absolument distincts. De plus la Science expérimentale, loin de n’être que la quatrième partie de l’ensemble décrit par l’éditeur, est mentionnée expressément comme étant en plusieurs livres.

Si l’on a recours, comme il est nécessaire, aux manuscrits, pour compléter la documentation et chercher une solution satisfaisante, l’énigme se complique encore au premier abord. Ce n’est pas que les manuscrits fassent défaut. « L[‘Autobiographie] du P. Surin est perdu, écrit le P. Michel [6], mais il existe de nombreuses copies, plus ou moins complètes et conformes à l’original. Nous en avons trouvé et examiné vingt-sept, dans des bibliothèques publiques ou privées, à Paris, dans la Bibliothèque Nationale, Mazarine, de la Sorbonne, de l’École Sainte-Geneviève, du Séminaire Saint-Sulpice, de la Visitation rue Denfert-Rochereau, des PP. Jésuites, rue de Sèvres ; à Sens, Amiens, Auxerre, Chartres, Poitiers, Ajaccio, Saint-Pétersbourg.[7] » Mais ils présentent une situation qui ne répond en rien à la description donnée par l’éditeur de 1829. « Aucun de ces manuscrits ne renferme les quatre parties » [8] décrites plus haut. On peut de se point de vue les grouper en plusieurs séries :

1° Les uns sous le nom d’Abrégé ou d’Histoire de la possession, répondent substantiellement au volume publié en 1828, mais sont expressément présentés comme un arrangement de l’œuvre primitive du P. Surin, due sous une première forme à « une personne solitaires » et sous une seconde, retravaillant cette première adaptation, à « un ecclésiastique ». Ce sont de beaucoup les manuscrits les plus nombreux. Ils contiennent en somme l’équivalent des trois premières parties signalées par l’éditeur de 1829.

2° D’autres manuscrits n’offrent que la première partie avec le titre donné par l’éditeur de 1829 : Le triomphe de l’amour divin, dans un texte identique à celui qu’il publie et fort différent, comme on peut le voir, du texte des deux premières parties, — de contenu semblable, — de l’Histoire de la possession, publiée en 1828.

3° Plusieurs manuscrits présentent sous le titre commun Le Triomphe de l’amour divin, avec cette première partie dont le texte est substantiellement identique à celui de 1829, la deuxième et la troisième parties, réservées alors par l’éditeur pour un second volume, avec respectivement, pour chacune, le titre particulier dont je transcris la ponctuation défectueuse :

Deuxième partie. — De la science en laquelle le P. Surin parle des maux qui lui sont arrivés en suite de la possession des démons chassés par son ministère.

Troisième parie. De la science expérimentale où le Père traite des choses en particulier qu’il a reçues à l’occasion et en suite de la possession de Loudun.

« Parmi les copies qui réunissent les trois parties, écrit le P. Michel [9], deux l’une à Sens (n° 164), l’autre à l’École Sainte-Geneviève (n° 301 bis) reproduisent fidèlement, ce me semble, le texte du P. Surin : 1° Les deux copies sont identiques, bien que l’une ne soit pas une copie de l’autre. Ce dernier point ressort des mots différents omis par les copistes et des corrections faites au manuscrit de Sens à la suite d’un collationnement. 2° Les deux copies sont plus complètes que les autres et l’ordre des matières comme le style ne paraissent pas avoir subi de modifications. On en peut juger par l’analyse d’une copie certainement fidèle conservée en 1690 au collège de la Flèche, analyse faite par l’auteur de la copie de Chartres. — 3° Enfin l’origine de ces deux copies nous est une sérieuse garantie de leur authenticité. Le manuscrit de Sainte-Geneviève provient de la bibliothèque de la maison professe des Jésuites de Paris et porte en tête ce paraphe : Paraphé au désir de l’arrest du cinq juillet mil sept cent soixante-trois. Mesnil. Le manuscrit de Sens fut laissé au chapitre de Sens par son doyen M. Nicolas Taffoureau, nommé évêque d’Alet en 1699 et mort en 1708. Le même prélat avait encore fait don aux  chanoines de Sens d’une copie de la 4e partie de l’histoire de la possession par le P. Surin (ms 163) et d’un recueil d’environ 160 lettres (ms 162) du même Père avec un beau portrait gravé de l’auteur, que nous n’avons pas rencontré ailleurs ».

Ces deux manuscrits (301 bis et Sens 164) sont utilisés pour les pages qui suivent.

4° Certains manuscrits contiennent seulement ce que l’éditeur de 1829 a publié sous le titre : La science expérimentale, etc. « Nous possédons, écrit encore le P. Michel, trois manuscrits de la quatrième partie, un à la Bibliothèque Nationale, fonds français, 145.96, et les deux autres, notablement retouchés, pour le style, à l’École Sainte-Geneviève et à la Bibliothèque de Sens (n° 163). Ces deux derniers sont deux copies d’un même manuscrit ou l’un d’eux est copie de l’autre ». C’est une copie du manuscrit 145.96 (j’ai aussi collationné sommairement Sens n° 163) qui me sert pour cette étude. Il est essentiel de remarquer qu’aucun de ces trois manuscrits qui représentent seuls jusqu’ici la « quatrième partie » de l’ouvrage du P. Surin, ne porte cette appellation de quatrième partie. Ils ont simplement comme titre celui-là même que l’éditeur de 1829 donne en abrégé au frontispice et, incomplètement encore page 149 : Science expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des Ursulines de Loudun par le P. J. J. Surin. De plus il n’y a pas deux sections mais deux parties, au moins en apparence, car on va bientôt voir que le texte authentique contredit la division adoptée dans les manuscrits.

Tel est l’état matériel de la tradition manuscrite, en faisant actuellement abstraction du contenu même de ces ouvrages. A la réflexion le lecteur ne peut qu’être frappé : 1° du désaccord des imprimés et des manuscrits avec les indications données par Boudon ; — 2° du titre énigmatique donné à la 2e et à la 3e partie du Triomphe et du rapprochement que ces titres suggèrent avec ce que l’éditeur de 1829 présente comme une quatrième partie avec ce titre spécial : La science expérimentale, etc. Il est évident d’ailleurs que le titre de la 2e et de la 3e partie du Triomphe doit se lire : Deuxième partie de la science (en supprimant le point après partie) ; — Troisième partie de la science expérimentale, ce qui fait écho aux indications de Boudon : « Plusieurs livres de la science expérimentale ». D’où la suggestion qu’il faut peut-être détacher cette seconde et cette troisième parties, de la première qui existe à part, en plusieurs manuscrits, sous le titre spécial : Le triomphe de l’amour divin, etc., et les rattacher à l’écrit intitulé Science expérimentale, dont elles partagent elles aussi l’appellation.

Nous n’en sommes jusqu’ici qu’à des suggestions, à des conjectures qui paraissent plausibles. Il reste à les vérifier, à les préciser, et par suite à les transformer en certitudes, si possible, d’après l’étude directe des textes. On va voir que rien n’est plus aisé et que, grâce aux indications multipliées par le P. Surin lui-même, il est possible d’établir solidement que, à propos de la possession de Loudun, puis des maux et des grâces insignes dont elle a été pour lui l’occasion, pendant plus de vingt ans, le P. Surin a écrit deux ouvrages tout à fait distincts, aussi bien par le contenu que par la date de composition :

1° Le triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer en la personne d’une fille possédée [en la possession de la mère supérieure des Ursulines de Loudun] [10] répondant substantiellement au premier traité publié par l’éditeur de 1829 et qualifié par lui de première partie. Cet ouvrage de caractère historique, commencé en 1636, puis interrompu, a été repris et définitivement achevé en 1660.

2° La science expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des Ursulines de Loudun, ouvrage en quatre parties répondant, la 1e et la 4e, aux deux sections de la Science expérimentale, publiées en 1829 comme quatrième partie du soi-disant ouvrage d’ensemble du P. Surin, sur la possession de Loudun ; la 2e et la 3e, aux parties correspondantes du manuscrit de Sainte-Geneviève (301 bis) et de Sens (114) et, avec remaniements, abréviations, interpolations, etc., aux troisième et quatrième parties de l’Histoire abrégée, de 1828. Cet ouvrage a été composé tout entier à Saint-Macaire, non loin de Bordeaux, en août/septembre 1663, puis retouché et mis dans un autre ordre ultérieurement. Plus tard encore, par suite du caractère plus historique de la deuxième et de la troisième parties qui les rapprochait tout naturellement du Triomphe de l’amour divin, on les a détachées du reste de la Science expérimentale, qui est, comme on le verra un traité d’apologétique, et on les a jointes à ce Triomphe, de manière à former comme une sorte d’autobiographie du P. Surin racontant, à l’occasion de la possession de Loudun, son histoire surtout intime au cours des trente dernières années de sa vie.

Il reste à fournir la preuve de ces diverses assertions.

I° En ce qui concerne l’existence d’un premier ouvrage distinct (la soit disant première partie de 1829) sous ce titre Le Triomphe de l’amour divin, etc. et que le P. Surin considérait comme l’histoire même de la possession, les témoignages abondent. Il faut signaler d’abord les nombreux passages de la Science expérimentale où le P. Surin y renvoie, non pas comme à une première partie, précédemment écrite, du même ouvrage, mais comme à un livre tout à fait indépendant. Je ne citerai que quelques textes d’après le manuscrit 145.96 (A), en indiquant où il y a lieu les passages correspondants de l’imprimé de 1829, que j’appellerai S.

A 7v : comme il est dit au long dans le récit que nous avons fait qui n’est pas encore publié et ne le peut estre qu’en son temps. A 11r : comme nous avons écrit en l’histoire ; ibidem : comme nous disons en l’histoire. A 12r : dont nous avons spécifié les particularités dans l’histoire où il faut renvoyer nécessairement les lecteurs qui pourront remporter cette satisfaction de savoir que toute cette histoire est conclue par la continuation de plusieurs effets miraculeux dont l’on n’a pas mesme raconté la centième partie pour n’avoir pas été possible d’en venir à bout. — Ibidem : Plusieurs sont dans l’histoire qui ne peut point encore être produite, jusqu’au temps que Dieu l’ordonnera, je dis être produite, au moins en son entier, car pour le gros de l’histoire, il y a une personne de condition et d’esprit qui travaille à la recueillir [11]. — A 14v : à cause que ce sont des choses que j’ai écrites ailleurs fort exactement, pour le moins celles dont j’ai été témoin de la vue et de l’expérience. — A 24r : Cela paraîtra manifestement par la lecture du récit que j’ai fait de toute l’histoire où je raconte les voyes dont je me suis servi pour la délivrance de la mère ; ibidem : suivant qu’il est raconté dans l’histoire. — A 25r : je ne veux pas ici redire ce que j’ai dit en l’histoire de la délivrance de la mère. — 26r : nous nous avons encore dit dans le gros de l’histoire ; — 27r : par les accidents qui sont descrits en notre histoire et que je ne veux point repeter ici. — 29r : et comme j’ai dit dans l’histoire de la délivrance… qui sont choses que je n’ai voulu redire comme l’ayant assez dit en cette histoire laquelle je ne veux point confondre avec ce que j’ai dit, car ceci n’est dit que purement pour marquer les choses extraordinaires qui ont leur cause dans l’autre vie. — 30v : (S. 182) : C’étaient des défis naturels des uns contre les aultres que j’ai raconté dans l’histoire. — A 38r : en sa guérison qui advint l’an 1636, laquelle est bien déduite en l’histoire de sa délivrance. — 38v : les particularités de cette apparition sont dans l’histoire que j’en ai faite.

Je donne à la suite, les allusions contenues dans ce que l’éditeur de 1829 appelle : section seconde ; le manuscrit : seconde partie et qui est en réalité la quatrième partie de la Science expérimentale primitive.

A 49r : Dans le livre que nous avons fait de cette histoire de la possession de Loudun (S p. 228 : dans l’histoire que nous avons faite de la possession de Loudun). A 54r S p. 245 : de sorte qu’ayant escrit l’histoire de cette possession de Loudun, nous l’avons intitulée Le Triomphe du divin amour sur les puissances de l’enfer en la personne d’une fille possédée. — A 57r S 254 : Cette vérité suit manifestement de l’histoire que nous avons racontée en la délivrance de la mère ; — A 57v : Conformément à ce qui a été dit dans l’histoire de la délivrance. — S 258 : ainsi que je l’ai dit en l’histoire (pas dans A, au moins au passage correspondant).

Il est inutile de continuer, car au début du chapitre 9 (A 59v, S p. 260) le P. Surin s’exprime de la façon la plus claire à ce sujet et qui satisfera pleinement ceux que certains des textes précédents auraient laissés sceptiques :

Pour satisfaire à ce que j’ai mis dans le titre de ce chapitre, il fault que je fasse mention d’une chose qui n’est pas dans ce livre mais qui est tirée de celui de l’histoire de la possession qui est un ouvrage que je commençai, il y plus de 25 ans ; c’était l’an 1636 et que j’achevaI l’an 1660, lorsqu’après avoir été, à raison des maux qui me sont venus par l’obsession des démons, tout le temps entre deux, sans avoir eu la faculté d’escrire et un empêchement à toute sorte de mouvements, je MIS FIN à cet ouvrage ; car soudain que Notre-Seigneur m’eut rendu cette faculté, je continuay et achevaI cette histoire.

On voudra bien retenir les mots j’achevai, je mis fin, pour la démonstration de la seconde partie de ma thèse sur le contenu de le Science expérimentale. Il ne sera pas inutile, non plus, de faire remarquer que, dans les manuscrits où est donnée comme seconde et troisième partie du Triomphe ce qui, selon nous, est la seconde et la troisième partie de la Science expérimentale, on rencontre, bien que plus rarement à cause du sujet, les mêmes allusions au contenu du Triomphe, comme à une Histoire distincte. (Je désigne par B le manuscrit 301 bis, autrefois à l’École Sainte-Geneviève) :

2e Partie : B 352 : qui sont marques dans l’histoire de sa délivrance ; — 363 : Je ne veux ici mêler les discours présents avec ce qui [est] déjà escrit en l’histoire qui a été faite de la délivrance ; dans le livre des histoires, il est dit comme quoi le Père fust envoié. — 368 : qui sont décrites dans l’histoire. — 3e Partie : B 542 : il faudra voir dans l’histoire que nous en avons faite…, lesquelles sont décrites dans cette même histoire.

II° La Science expérimentale. État primitif. La démonstration est plus délicate, mais rendue facile, dans une large mesure, ici encore, par le texte même des manuscrits. Il faut savoir que le début de cet ouvrage a été remanié mais, fort heureusement, les manuscrits ont conservé, après la seconde rédaction, la première. Elle contient des indications extrêmement intéressants, dues au P. Surin lui-même. Voici la note préliminaire placée par lui au début de son ouvrage, après qu’il l’eut terminé :

Science expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des religieuses ursulines de Loudun, par le P. Jean-Joseph Seurin de la Compagnie de Jésus.

Écrit à Saint-Macaire l’an 1663.

Secretum meum mihi.

Secretum meum mihi.

Combien que j’aie dit au commencement du 1er chapitre que les choses ici couchées sont pour l’instruction et la consolation de plusieurs âmes, pourtant la plus part ne peuvent être communiquées, particulièrement celles de la seconde partie. La 3e partie peut estre moins communiquée que la 2e, mais la 4e le peust tout à fait, si Dieu nous fait la grâce de les produire, car la 4e est une quantité de réflexions sur la vérité de l’histoire déduite en la première partie et dont on peust tirer grand profit.

La 1er et la 4e partie ne sont pas difficiles à identifier. Elles ne sont autres que les deux sections de la Science expérimentale, publiée en 1829, com-me le prouve d’identité des titres : Première partie où sont les arguments qui prouvent les choses de l’autre vie (cf. S. p. 151). Seconde partie [au lieu de quatrième, par suite d’un remaniement postérieur] de la science expérimentale, contenant des réflexions sur les vérités qui ont esté déduites dans la partie précédente (cf. S. p. 198). Que cette seconde partie soit bien celle qui était primitivement la quatrième, il est facile de le démontrer, outre l’identité du titre caractérisant le contenu [12], par l’entête du chapitre 13 [12e dans le manuscrit qui invite plus loin (67v) à corriger] où l’on a, par mégarde, après le remaniement, laissé le texte primitif : Conclusion de cette Quatrième partie qui est une réflexion sur la nature de la possession du diable (A. 65v S. p. 283). Un détail du chapitre 12 confirme cette assertion car il suppose nettement que la 2e et la 3e partie, telles qu’elles seront identifiées plus loin, sont déjà écrites (A. 69r) : « Qui lira ce qu’il en a écrit et qu’il a cacheté pour n’être point lu pendant sa vie, verra clairement ». Et non loin de là (A. 68v) : « Toutes ses calamitez qui sont assez visibles par la déduction de ce qui est escrit dans les deux parties qui ne sont pas encore produites [13] (c’est-à-dire la 2e et la 3e partie où il est question de ses maux et des grâces qui ont compensé). »

La date de composition de ces deux parties ne fait pas davantage difficulté. L’année 1663 est expressément indiquée au début de l’ouvrage, (A. 14r) : « Première partie… chapitre premier (titre)… A Saint-Macaire, ce 23 août 1663. » Cette même année est rappelée plus loin (A. 31r) à propos de la rénovation des noms, sur la main gauche de Jeanne des Anges : « Tous quatre ont demeuré jusqu’à l’année 1662, au jour de S. Jean auquel, pour la dernière fois, se fit leur rénovation. A l’heure que je parle, qui est l’an 1663, ces noms sont tout à fait abolis ». Ce passage est antérieur à la seconde rédaction des deux premiers chapitres de l’histoire où les mêmes faits sont rapportés mais où est affirmée très nettement, de la part de Jeanne, une démarche qui, là, est donné sous la forme la plus dubitative. De même, A 37r, il est fait allusion à un voyage à Loudun « il n’y a pas deux ans » de « gens de qualité (M. et Mme Dusault), de Bordeaux », voyage accompli aux environs de la Toussaint, comme le P. Surin le rappelle là même, en 1661, ainsi qu’il résulte de nombreuses lettres de la correspondance, la plupart inédites, dont la date est indubitable. De même pour la 4e partie (la seconde d’après A). « De sorte qu’étant dans l’âge de 65 ans, il ne fait que sortir d’une mission très pénible prêchant tous les jours a de grands peuples et confessant prodigieusement sans en être incommodé en sa santé, ayant des forces pour tout » (A 68v). Il faudrait même en conclure que certaines pages ont été écrites seulement en 1665, peu avant la mort du Père (22 avril de cette année) si les particularités rappelées n’étaient en désaccord avec ce que la correspondance fait connaître des occupations du Père en ce temps ; tout au plus peut-on hésiter entre 1663 et 1664 : le Père Surin étant né en 1600, le 9 février, se trouvait en effet, à partir du 9 février 1664, dans sa soixante-cinquième année. Mais il peut y avoir une erreur de date — il y en a d’autres chez lui — 65 pour 63 ans. Les détails qu’il donne là sur ses occupations conviennent aussi bien à 1664 qu’à 1663.

Reste l’identification de la 2e et de la 3e partie. On a vu plus haut que, d’après nous, elles ne sont autres que la 2e et la 3e partie qui, dans les manuscrits, suivent le Triomphe et sont donnés par l’Histoire publiée 1828, comme 3e et 4e parties.

1° Un premier argument est le titre même que ces parties ont dans les manuscrits : Deuxième (troisième) partie de la science (expérimentale), etc. ; titre inexplicable si primitivement, en effet, ces parties n’appartenaient pas à la Science expérimentale.

2° Elles rentrent d’ailleurs, par leur sujet, directement dans le plan de ce dernier ouvrage, tel que le donne la préface et sont au contraire en dehors de celui du Triomphe, comme le définissent les premières lignes : « On ne fera récit dans cette histoire que des choses qui se sont passées en l’affaire de la possession de la mère Prieure des Ursulines de Loudun ». L’on sait que cette seconde et cette troisième parties, racontent au contraire la vie intime, si douloureuse et si mystique à la fois, du P. Surin, depuis son retour du pèlerinage d’Annecy en 1638 jusqu’à l’année 1663.

Étant ici en repos, écrit-il au début de la Science expérimentale, à cause de la tranquillité de ce séjour et de la liberté que j’y ai, me voyant exempt des affaires qui m’accablent ailleurs, j’ai cru qu’il serait bon de m’employer à mettre par écrit des choses que j’ai souvent eu la pensée d’écrire et de ne pas laisser échapper de ma mémoire ce de quoi  les âmes peuvent tirer grande instruction, et consolation, marquant ce que Notre-Seigneur m’a fait connaître et expérimenter des choses de l’autre vie et qui passent d’état ordinaire de la foi dans lequel nous n’avons d’autres objets que ceux qui touchent les sens et qui sont dans l’usage commun de cette vie présente.

Je ne veux point garder d’autre ordre que celui des temps. [Ici la phrase citée page 162 : A 14v]. Je me contenterai de marquer celles que j’ai éprouvées en ma personne, Notre-Seigneur ayant permis que j’en aie senti plusieurs dans mon corps et dans mon esprit, et qu’il n’y a point de sujet de tirer crainte de tout cela, étant toutes choses faites sans moi ou s’il y a du mien c’est toujours avec plus d’aide de la grâce de Notre-Seigneur que de mon industrie et de mon travail.

Nulle part la prépondérance de l’élément personnel n’apparaît mieux que dans ces deux parties.

3° Le P. Surin signale encore dans la note préliminaire de la Science expérimentale que la « 2e partie ne peut être communiquée et la 3e moins que la 2e ». Or voici ce qu’il écrit au début de la 2e partie dans le manuscrit 301 bis (p. 347-8) : « J’ai été longtemps en doute si je mettrais par écrit les choses que j’ai entrepris de déduire en cette partie, la raison pour ne le faire pas est que ce sont des choses si étranges et si peu croyables que ceux qui les verront écrites les prendront pour des vraies fantaisies et imaginations d’un esprit égaré et qu’il y a plus de sagesse de se celer que de se publier ». Et au début du chapitre 7e (p. 408) : « Ce que je dois dire dans ce chapitre ne se peut pas bien communiquer à d’autres qu’aux religieux de notre Compagnie à cause qu’il se passa des choses fort étranges, dont d’autres qu’eux ne seraient pas capables  ».[14] De même au début de la 3e partie, immédiatement après le titre, vient cette note : « Ce qui est écrit ne se doit communiquer à personne ».

4° A la fin de cette seconde partie se trouve l’affirmation expresse de son appartenance au mê-me ouvrage que la première partie de la Science expérimentale. Tandis que le Triomphe n’est qu’une simple histoire, la Science, je l’ai déjà remarqué, est un ouvrage apologétique destiné à démontrer, par les preuves personnelles que Surin a eues de l’action des démons, en lui et autour de lui, l’existence du monde surnaturel en général, de Dieu et de l’autre vie en particulier. Ce dessein qu’il formule au commencement même de l’ouvrage, il le rappelle en ces termes à la fin de la seconde partie (manuscrit 301 bis, p. 338) :

Il y a pourtant une chose encore à dire, c’est que la vue des choses que j’ai ici alléguées soit en première ou seconde partie, est seulement de celles qui sont prises des démons ou de leurs opérations dont aucunes ont été si manifestes qu’on conclut évidemment qu’il y était et de là on vient à connaître manifestement aussi celui qui les a créés et qui les punit ; je ne me suis point hasardé d’avancer d’autres preuves que celles qui sont prises de ce côté-là, et il y a des personnes meilleures que moi qui en ont eu d’autres et qui les ont alléguées… [Le développement se poursuit pendant deux pages, 538-540 et se termine par ces mots} : Car tout ce que j’ai dit peut bien suffire pour imprimer cette créance qu’il y a un Dieu dans le ciel qui nous a sauvés par son fils, lequel a fondé son Église et a laissé le moyen à tous les hommes de parvenir au salut éternel, Dieu nous en fasse grâce » [15]. De même au début de la troisième partie (manuscrit p. 51-542) : Après ce défi dont j’ai parlé en la première partie ».

5° La date de composition confirme pleinement tout ce qui vient d’être dit. On a vu plus haut que Surin affirme qu’il a achevé le Triomphe en 1660, époque où il n’a pas quitté Bordeaux, comme il résulte de sa correspondance. En 1663, au contraire, il passe la plus grande partie de l’année à Saint-Macaire. On l’y trouve dès le premier février et il ne le quitte que momentanément pour Bordeaux. Ayant pleinement recouvré ses forces physiques, il en profite pour se livrer aux labeurs apostoliques parmi les villageois et en particulier donner des missions. Ces faits que la correspondance inédite de 1663 rappelle souvent, sont également signalés, à plusieurs reprises, au cours de la deuxième et de la troisième partie, comme dans la première et dans la quatrième :

Deuxième partie, manuscrit 301 bis, chapitre 4, p. 375 : Enfin il [Surin] se rendit à Saint-Macaire, où je suis à présent écrivant ceci, et par ce que j’ai commencé à écrire parlant en tierce personne, je continuerai de même ». Un peu plus loin (p. 380) : « En cette disposition il vint en ce lieu de Saint-Macaire, il fut logé au même lieu où il a été diverses fois cette année » ; (p. 385) à propos de sa chute ) Saint-Macaire, en 1645 : « Il y a dix-huit ans [1645-1663] de cette chute et comme on a loisir de devenir vieux, il se fait des changements dans les dispositions ; à présent je suis ici dans le même lieu ou la chute est arrivée en tantôt je parle de ceci en première personne, quelques fois en tierce personne, selon que la disposition s’y trouve ». (Cf. p. 617 : « Au temps que j’étais en ce pays, c’est-à-dire à Saint-Macaire, il y a dix-huit ans ». Un peu plus haut, page 383 il avait écrit : « Il n’y a pas encore un mois qu’au même lieu ou le Père tomba, un chat voulant atteindre un passereau, tomba et se tua ».

Troisième partie, chapitre 3 (577-581) : « Et qu’étant vieux, car j’ai soixante-trois ans et passés [9 février 1600/août 1663]… je prêche au simple peuple dans les villages et Dieu laisse mon cœur content » ; page 585 : « A peine y a-t-il trois ans que je suis dans un état paisible et constant » ; chapitre 6 (p. 615-616) tout un développement sur ses occupations à Saint-Macaire ; je ne cite que l’essentiel : « Après lesquelles peines vint l’état de douceur et de consolation et la liberté du mouvement dont j’ai parlé en cette partie et c’est ce qui s’est rendu stable et je le possède à présent avec la liberté de prêcher et de servir les âmes, comme je fais étant à la campagne à une lieue de Saint-Macaire où je dois prêcher demain qui est dimanche à une paroisse nommée Saint-André et je prêchai hier qui est la fête du Saint Martyr et à mon avis il y a de la bénédiction de Dieu… »[16]

Or en 1663 nous avons une longue lettre pour Jeanne des Anges, « écrite à Saint-André, à la mission, ce 26 août. » J’en transcris seulement ce passage :

« Je vous écris d’un lieu où je suis dans la mission, à trois lieues de Bordeaux. Nous sommes ici pour le service des âmes à un bourg champêtre et nonobstant qu’il y ait de l’emploi dans l’extérieur, il y a bien lieu à goûter les douceurs de Dieu [17]. Sortant de cette mission, ce qui sera dans treize jours, j’irai à Saint-Macaire et à Bazas voir vos sœurs ».

Quelques jours plus tard, dans une lettre commencée le 15 septembre à Saint-Macaire et achevée à Verdelais, « ce jour des Stigmates de Saint François », Surin écrit à Jeanne des Anges ces lignes qui peuvent servir de conclusion à la première partie de ce travail :

« Je suis après un ouvrage que je commençai le 23 du mois passé, dont je crois vous avoir écrit par ma dernière. Ce sont les choses que je voulais que vous me mandassiez ou me fissiez mander de vos nouvelles, de quoi ordinairement vous êtes assez oublieuse, je vous mandais donc que j’avais commencé un ouvrage que je nomme Science expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des filles de Loudun. C’est un livre où je dis mes expériences et parle de mes maux en l’état passé. Je ne prétends pas publier cela, mais il se trouvera dans ma chambre, quand je mourrai, et l’ai quasi achevé. Si nous nous voyons, je pourrai vous en montrer quelque chose. Enfin ma conclusion est qu’il n’y a rien tel que Dieu et que son service est préférable à toutes les choses de ce monde. J’ai joie de me voir quasi au bout de ma carrière, j’attends de cette vie ».

A

Le texte primitif

I. Le Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer en la possession d’une fille possédée

On a vu dans la première partie de ce travail, que le P. Surin avait commencé en 1636 et achevé en 1660 un ouvrage sur la possession de Loudun intitulé : Le Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer, en la personne d’une fille possédée [18]. Il débute par cette courte préface où est très nettement exposé le but de l’écrit avec son caractère historique et autobiographique :

On ne fera récit dans cette histoire que des choses qui se sont passées en l’affaire de la possession de la Mère Prieure des Ursulines de Loudun, nommée sœur Jeanne des Anges, de la Maison de Cozé, depuis le temps que le R. P. Surin, de la Compagnie de Jésus, prit charge de l’exorciser et raconterons avec l’assistance divine le plus fidèlement qu’il nous sera possible, les effets de miséricorde que Dieu a fait paraître sur cette âme et comme quoi le divin amour, par le ministère de ce Père l’a tirée de l’effroyable captivité du Diable, pour la posséder, non seulement en la liberté de ses Enfants, mais encore en la possession d’une haute grâce, faisant confusion en la maison de Nabuchodonosor par la générosité d’une fille et donnant par ce moyen un plein triomphe à son amour sur les ennemis de son royaume [19].

Effectivement, au cours des quatorze chapitres qui composent cette histoire, le P. Surin recueille ses souvenirs personnels non pas sur tout ce dont il a été témoin à Loudun, au cours des années 1634-1637, pendant lesquelles, il y a séjourné à deux reprises, mais sur la façon très particulière dont il a compris son rôle d’exorciste et les fruits de sanctification qui en on résulté pour l’âme de Jeanne des Anges. Sans doute, ce qui concerne directement la possession et l’action contre les démons occupe une large place dans le récit, mais l’intérêt, même du P. Surin, est manifestement ailleurs. Il s’agit pour lui de montrer comment la meilleure méthode d’expulser les démons consistait, comme il l’a fait, à tirer avant tout Jeanne des Anges de l’état de tiédeur spirituelle où elle se trouvait, à éveiller en elle le goût et le besoin de l’oraison, à lui faire vouloir la pénitence et le renoncement. Derrière le drame extérieur qui met aux prises l’exorciste avec les « ennemis de la nature humaine », il y a le drame intime qui se joue dans l’âme même de Jeanne qu’il s’agit de conquérir définitivement à Dieu. Surin veut démontrer l’efficacité de cette méthode purement spirituelle. Il y a évidemment profit, en dépit des bizarreries et des singularités dont abonde le récit, à suivre l’application de cette méthode si persévéramment employée et à connaître dans le détail les procédés auxquels a recours le directeur pour guider cette âme, au début si réfractaire, vers les hauts sommets de la sainteté. La dernière partie, où sont rapportées les merveilles opérées par la « sainte onction » [20], a évidemment pour objet d’aviver la dévotion envers saint Joseph, dont le Père Surin a été l’un des grands propagateurs à l’exemple de sa mère spirituelle, sainte Thérèse.

Ils es d’ailleurs aisé de se rendre compte de ce que contient le Triomphe, car pour les neuf premiers chapitres, l’édition de 1829 [21] est assez fidèle et, sauf quelques retouches de style, ça et là, donne vraiment le texte composé par le P. Surin. Neuf chapitres embrassent la période du premier séjour à Loudun et de l’envoi à Bordeaux. Les cinq premiers et une partie du sixième furent écrits à ce moment-là même, comme nous l’apprend l’indication mise par Surin au début de la rédaction qui fit suite à ce premier travail : Continuation de l’histoire de Loudun, interrompue au 6e chapitre, de l’an 1636 vers le mois d’octobre et reprise dans l’an 1660, au commencement du mois d’août. Octobre 1636 c’est le moment précis où Surin vient de quitter Loudun et d’être envoyé à Bordeaux. Il y passera à prêcher et à confesser, malgré l’obsession qui le travaille ouvertement depuis avril 1635, d’octobre 1636 à juin 1637. Ses dernières lettres de Loudun, datées du 3 octobre 1636, font allusion à son départ immédiat ; la première écrite de Bordeaux, ou plutôt de la campagne de Chelivettes, propriété de famille, que son père, en 1626, avait donné au collège des Jésuites, est du 1er novembre. C’est donc entre ces deux dates, encore tout frémissant de ce qu’il avait vu, entendu et accompli, que Surin décrit « sa procédure en la conduite de la Mère prieure » (chap. 2e), « la voie qui fut tenue en la conduite de l’oraison de la Mère prieure » (chap. 5), « comment elle joignit la pénitence à l’oraison » (chap. 6). Malgré sa fidélité substantielle, l’édition de 1829 contient cependant des additions et des omissions. L’omission la plus intéressante concerne un passage sur les Exercices spirituels, d’une actualité assez piquante, puisqu’il donne l’opinion de Surin sur l’aptitude des Exercices de saint Ignace à disposer l’âme aux grâces de la contemplation infuse. Je transcrit ce texte en entier d’après le meilleur manuscrit [22] :

Cette oraison de la minuit en laquelle elle éprouvait grande aridité, lui était parfois très utile, et elle en sortait avec des goûts de Dieu non pareils, savourant les choses qu’elle avait médités le jour. Ce fut à la fin sa viande si douce et si savoureuse, qu’elle y passait plusieurs heures sans ennui, comme nous dirons ci-après quand nous parlerons de la contemplation où elle fut élevée, avec laquelle elle faisait règlement, en son particulier et avec le Père, quatre heures d’oraison en quelque disposition qu’elle se trouvât, sinon qu’elle fût malade. Cependant il vous faut remarquer qu’en toute cette conduite d’oraison, le Père observait exactement la manière qui est prescrite dans les Exercices de saint Ignace ; et combien qu’il ne le fît par un art ni à dessein, n’ayant eu autre volonté que de suivre les mouvements que Notre-Seigneur lui donnerait, faisant réflexion par après sur la manière qu’il avait tenue, il trouva que c’était la même qui était prescrite dans ce livre ; et combien que cette adresse d’oraison préparatoire, de prélude, et tout le reste semble gêner la liberté de quelques esprits, qui, prenant cela avec trop de dessein et de prévoyance, limitent l’opération de l’esprit de Dieu et restreignent son amplitude, toutefois il expérimenta clairement que quand cela se rencontre suavement et s’exerce sans contrainte, que c’est le plus court et le plus assuré chemin à la véritable contemplation surnaturelle. Il remarqua donc, faisant réflexion sur le passé et considérant la procédure qu’il avait tenue avec la Mère, que son commencement était une élévation à Dieu pour mettre l’âme en sa présence ; puis un récit de l’histoire qui devait être méditée, puis une réflexion particulière sur le lieu avec les circonstances sensibles, et ainsi l’application de l’esprit aux choses considérables et celle des sens à celle qui se présentait à eux capable d’émouvoir l’affection de son poids, sans aucun dessein, avec un merveilleux soulagement de coeur. Il tenait cet ordre, qui est l’ordinaire des Méditations de saint Ignace ; car si parfois il insère des discours et des raisons inventées, c’est rarement ; mais de vingt Méditations il y en a dix-neuf qui sont en cette façon, qui attire infailliblement les âmes à la contemplation tant désirée de toutes les personnes qui entrent dans ce chemin de l’oraison. Ce qu’on dit est véritable, qu’il est mal aisé de fournir de méthode pour l’oraison surnaturelle ou de quiétude ; néanmoins on peut dire que s’il y en a eu au monde, ce grand Saint l’a trouvée, et qui verra attentivement et pénétrera le secret de sa conduite, il y reconnaîtra les trésors cachés ; car le style de ce saint homme n’est point [23] tant de raisonner, l’activité du discours empêche merveilleusement l’opération divine, mais seulement d’employer les puissances de l’âme en grande simplicité à la vue des personnes, des paroles et des actions, pesant par simple regard ses objets et y appliquant les sens intérieurs pour en tirer admiration, paix, suavité et ferveur [24].

Le Père donc qui jamais n’avait pu prendre à tâche ces méthodes, se laissant aller à son esprit qui y était réduit par celui même qui les avait inspirées à son père et fondateur, afin de lui faire connaître en une expérience signalée la force de cette manière d’oraison contre les démons, et combien elle était pressante pour conduire une âme à la sainte quiétude et contemplation surnaturelle, en laquelle Dieu opère et attire suavement l’esprit qui se soumet à sa conduite, car de fait, quand là Mère prieure fut parvenue au mystère de la flagellation, lequel seul les occupa un mois entier, elle fut élevée à cette contemplation si désirable et à cette douce paix où l’âme reçoit de Dieu sans peine les infusions de sa lumière. Mais parce que cette façon de prier fut précédée de grands travaux et qu’il faut une longue déduction à représenter les choses qui s’y passèrent, nous attendrons à en parler, après avoir dit ce qu’il faut subir pour acquérir une si grande faveur, comme par le même, il fallut ôter quelque empêchement dont la lumière de méditation et la connaissance étaient obscurcies et qui étant dans le fond du naturel devait être arraché par le travail de l’âme, se mortifiant à bon escient pour préparer la place au Saint-Esprit qui voulait habiter en elle.

En guise d’appendice à cette première partie du récit, tous les manuscrits, sauf celui de la Mazarine, donnent deux documents, qui sont également du P. Surin et n’ont point de rapport direct avec le sujet immédiatement traité. Le premier constitue même une sorte d’anticipation par rapport à la suite des événements : (Le) Récit de ce qui se passa à Loudun lors de la délivrance de la Mère prieure des Ursulines de Loudun, le jour des Rois 1636. « La Mère fut extraordinairement inquiétée. — que faisait la Mère ? » Le deuxième du même ‘jour des Rois, déclaration du démon touchant la vie spirituelle : « Dit qu’il savait bien — que celui de la géhenne » [25]. Ce dernier document contient, entre autres, une critique fort vive des spirituels immortifiés interprétant à contre sens la doctrine de [S. François de Sales] [26].

Absorbé par ses nouvelles occupations, puis réduit à l’état d’impuissance intellectuelle pendant plus de vingt ans, à la suite de son second séjour à Loudun, le P. Surin ne recouvra que vers 1660 la pleine possession de lui-même à l’extérieur comme à l’intérieur. C’est alors qu’il se remit à décrire la suite des événements de Loudun, ainsi qu’en fait foi la note qui sert comme de titre à cette nouvelle partie : Continuation de l’histoire de Loudun, interrompue au 6e chapitre, de l’an 1636, vers le mois d’octobre et reprise dans l’an 1660 au commencement du mois d’août et comme quoi la Mère prieure fut délivrée des deux démons qui la possédaient. Ici le manuscrit de la Mazarine est le seul logique en commençant un nouveau chapitre à cet endroit (le 7e), puisque le sujet est tout à fait distinct de ce qui précède. Les autres ne donnent que quelques pages plus loin le titre du chapitre VII « Comment la Mère fut délivrée d’un autre démon qui la possédait. «  Ce titre ne se comprend bien que si, avec la Mazarine, l’on assimile la fin de la note « comme quoi la Mère prieure fut délivrée de deux démons » à l’entête d’un nouveau chapitre. De là, d’ailleurs, une numérotation différente pour le même contenu de cette seconde partie : le manuscrit de la Mazarine comptant neuf chapitres, de 7 à 15, tandis que les autres n’en ont que huit : la suite de 6 et les chapitres 7 à 14.

Dans cette seconde partie, moins intéressante d’ailleurs, du point de vue de la doctrine spirituelle, mais importante pour la biographie du Père Surin et sa psychologie personnelle, l’édition de 1829 est beaucoup moins fidèle que précédemment au texte authentique du Triomphe. Elle abrège et modifie beaucoup plus largement [27]. Au

point . même que le dernier chapitre de cette édition (XI, « contenant ce qui arriva avant et pendant le voyage de la Mère en Savoie »), équivaut à lui seul aux quatre derniers chapitres du Triomphe, dont voici les titres :

XI. Le Père ayant achevé l’affaire de la délivrance de la Mère se retira et des choses qui arrivèrent jusqu’au voyage de Savoie.

XII. Comme l’on fit le voyage de Savoie, le Père allant d’un côté, la Mère de l’autre et des choses qui arrivèrent pendant le chemin.

XIII. D’une grande merveille qui arriva en l’onction de S. Joseph pendant que la Mère était à Annecy et de son département.

XIV. Comme le Père Surin et la Mère s’en retournèrent chacun en leur quartier et des merveilles que Notre-Seigneur fit par S. Joseph.

Le biographe du P. Surin y recueillera un certain nombre d’indications utiles pour fixer certains détails des années 1635-1639 et plus d’un trait qui ne lui permettra guère d’accepter le jugement que l’on trouve consigné en plusieurs manuscrits, à propos du récit de l’apparition de sœur Gabrielle de l’Incarnation à Jeanne des Anges (en 1660), sur le P. Surin « qui ne croyait pas de léger. »

II La Science expérimentale des choses de l’autre vie acquise en la possession des Ursulines de Loudun.

L’article précédent a démontré que cet ouvrage a été composé en août-septembre 1665, à Saint-Macaire, non loin de Bordeaux, et qu’il comprenait en réalité quatre parties. L’état primitif nous est au mieux représenté par le manuscrit B (ibliothèque) N (ationale) 145.96 qui a conservé la note préliminaire où il est question de ces quatre parties et où chacune est suffisamment caractérisée pour que nous puissions facilement l’identifier. Quelques lignes, en guise d’introduction font connaître le but poursuivi par le P. Surin dans ce nouvel ouvrage et pour quels motifs il l’écrivit :

v

Première Partie

Où sont les arguments qui prouvent les choses de l’autre vie.

Chapitre premier

Introduction au récit des choses qui ont donné cette science expérimentale des objets qui sont de l’autre vie.

A Saint Macaire, ce 13 août 1663.

Étant ici en repos a causé de la tranquillité de ce séjour et de la liberté que j’y ai, me voyant exempt des affaires qui m’accablent ailleurs, j’ai cru qu’il serait bon de m’employer à mettre par écrit des choses que j’ai souvent eu la pensée d’écrire et de ne pas laisser échapper de ma mémoire ce de quoi les âmes peuvent tirer grande instruction et consolation, marquant ce que N. S. m’a fait connaître et expérimenter des choses de l’autre vie et qui passent l’état ordinaire de la foi, dans lequel nous n’avons d’autres abjects que ceux  qui touchent les sens et qui sont dans l’usage commun de cette vie présente.

Je ne veux point garder d’autre ordre que celui des temps. Ainsi, sans m’arrêter à déduire les choses extraordinaires que j’ai aperçues dans les personnes possédées, à cause que ce sont des choses que j’ai écrites ailleurs fort exactement, pour le moins celles dont j’ai été témoin de la vue et de l’expérience, je me contenterai de marquer celles que j’ai éprouvées en ma personne, N. S. ayant permis que j’en ai senti plusieurs dans mon corps et dans mon esprit, et qu’il n’y a point de sujet de tirer vanité de tout cela, étant toutes choses faites sans moi, ou s’il y a du mien c’est toujours avec plus d’aide de la grâce de N: S. que de mon industrie et de mon travail.

Premièrement donc je veux dire comme quoi N. S. permit que les opérations manifestes des démons se rendissent sensibles en ma  personne…

I. — La première partie de la science expérimentale, comprend onze chapitres. Le premier, présenté comme une introduction, rappelle l’émotion qui saisit Surin à Loudun, le désir qu’il éprouva par suite de soulager de son mieux, les possédées, en particulier Jeanne des Anges et l’offre qu’il fit à Dieu de porter une partie de sa peine. — Le second expose « comment le Père sentit la présence du démon en sa personne et ses opérations et comment il lui fit la grâce de résister. » IIIe « Des autres attaques que les démons firent sentir au Père et comme quoi, il ne reçut aucun préjudice de rien, N.-S le délivrant de tout » : description des diverses épreuves, et tentations dont il fut l’objet pendant son séjour à Loudun. — IVe « Deux objections à ce qui vient d’être dit avec la réponse pour y satisfaire » : Première objection : incertitude de l’intervention diabolique dans les entretiens avec les possédées : à preuve les fausses possessions. Surin invoque l’impossibilité de s’être trompé tout au long des trois ans, qu’a duré son expérience à Loudun et la supériorité de l’esprit des démons sur celui des possédées expliquant seule les réponses qu’elles font au-dessus de leur état. Il revendique énergiquement le droit d’avoir une opinion motivée qui s’impose à l’examen plus que celle de spectateurs venus seulement en passant — Ve « Continuation de la même matière » : Deuxième objection : les diables sont menteurs, on ne peut donc faire nul fond sur ce qu’ils disent. Digression sur les bons et les mauvais anges ; cause de la chute de ceux-ci. Comment en toute hypothèse, cela prouve l’existence de Dieu et du surnaturel, si l’exorciste remplit bien son devoir, il y a toute chance pour que Dieu oblige le démon à dire la vérité : « Non pas que je veuille conclure que sur leur déposition on puisse faire le procès à personne, comme on dit facilement que le magicien Grandier avait été condamné sur la déposition des démons mais on peut prudemment tirer d’eux et de leurs paroles des ouvertures pour poursuivre la justice et faire le procès aux magiciens à cause que sur ces ouvertures on reçoit des éclaircissements et sur ces découvertes on fait des interrogations et des recherches qui font qu’on vient à bout de plusieurs choses qui sont à la gloire de Dieu et au bien des âmes en connaissant la vérité » (B N. 14596 f. 22) — VI : « Arguments indiscutables de la présence des démons dans les personnes possédées qui sont les signes donnés de leur sortie. » Après avoir mis en relief le principe de la preuve et sa valeur, Surin passe à l’application et raconte comment il a chassé les démons de Jeanne des Anges. — VII : « Continuation des mêmes preuves en la sortie des démons. » L’auteur se propose moins de redire ce qu’il a déjà raconté dans l’Histoire (Le Triomphe) que de souligner le caractère surnaturel de ces faits et leur force démonstrative. — VIII : « Autre preuve de la vérité des démons possédants prise de la découverte des pensées secrètes du coeur humain » : divers épisodes des exorcismes qu’il a faits. — IX « Autres preuves qui me font connaître que c’étaient vraiment des diables dans les personnes possédées » : sept preuves énumérées brièvement. La fin du chapitre est consacrée à la conversion de M. de .Kériolet. — X « Autre preuve rare des choses surnaturelles qui est la rénovation des noms écrits sur la main de la mère, qui se fit l’espace de plus de 20 ans » : Détails prouvant la réalité du phénomène et son caractère surnaturel, contre toute fraude. — XI : « Autre preuve et effets miraculeux en la guérison qui arriva en la personne de la Mère des Anges par l’onction de S. Joseph. » Les deux guérisons de1637 et de 1639. Ce dernier fait « nous le pouvons mettre là entre les effets les plus signalés et les plus indubitables de ce temps desquels nous pouvons tirer toutes les conclusions que nous avons dit ci-devant, en confirmation de notre foi et les pouvons prendre pour motifs de bien faire et nous résoudre à tout ce que Dieu veut de nous, pourquoi il a fait par le passé tant de miracles dans son Église. »

« Voilà la première partie dé ce livre ».

L’imprimé de1829 [28], ne comprend que trois chapitres. Il omet d’abord les cinq premiers du manuscrit et débute, en l’appelant chapitre 1er, par le chapitre VIe. Mais ce chapitre 1er contient en outre, avec, comme toujours, des omissions nombreuses, le chapitre VII, jusqu’à la page 160. A partir de la page 161, l’imprimé omet la fin du chapitre VII et les détails qu’il donne, sur la possession de Loudun, comme déjà rappelés dans le Triomphe, auquel il renvoie. Il les remplace par des considérations sur les démons et leurs déclarations. Ce sont des pages empruntées aux chapitres III (f. 161-162), IV (162-165), V (165-169) de cette 1ère partie de la Science. Puis, après une page et demie non identifiée, (169-170), il transcrit (170-175) au style direct, en em ployant la première personne, la Déclaration du jour des rois, annexée dans certains manuscrits du Triomphe avant la continuation de 1660 (voir plus haut) Le chapitre II de l’imprimé répond, avec toujours des abréviations, des omissions et sous un titre différent, au chapitre VIII des manuscrits ; de même le chapitre III au chapitre IX. L’imprimé s’arrête à la fin de ce chapitre. Il omet les chapitres X et XI déjà partiellement insérés au chapitre X du Triomphe (p. 136 sq. : chapitre X ; 125-126 : chapitre XI).

II. « La seconde partie de la science en laquelle le Père Surin parle des maux qui lui sont arrivés par suite de la possession des démons chassés par son ministère. » Elle comprend dix-sept chapitres, et raconte les épreuves physiques et morales du P. Surin, depuis son retour de Savoie, en 1639, jusqu’à sa guérison plus ou moins complète, au moment où il écrit en août 1663. C’est avec des modifications diverses, le contenu même de la 3e partie de l’Histoire publiée en 1828 [29]. L’ordre y est fidèlement suivi mais le tout a été distribué en deux livres, avec le 1er 14, le second 10.chapitres. Les huit premiers chapitres se correspondent ; le IXe est distribué, dans l’imprimé, avec des remaniements divers, entre les ch. X, XI et XII ; le Xe équivaut aux XIIIe et XIVe de l’imprimé ; le XIe aux chapitres I et II du 2e livre, le XII au IIIe et au IVe jusqu’au milieu de la page 271 ; le XIIIe à la fin du IVe et au Ve, le XIV au VIe et VIIe, le XVe au chapitre IX, le XVIe au chapitre VIII, le XVIIe au chapitre X. Il y a beaucoup de passages abrégés, à l’intérieur de ces divers chapitres. Le style a été remanié.

III. « Troisième partie de la science expérimentale où le père traite des choses en particulier qu’il a reçues à l’occasion et en suite de la possession de Loudun, — ce qui est écrit ne se doit communiquer à personne. » Cette partie comprend quatorze chapitres, qui, forment la 4e partie de l’Histoire de 1828 [30]. Ils y sont distribués en deux livres, de 7 et 13 chapitres, avec des modifications et surtout des abréviations nombreuses, comme dans le précédent, Elles sont d’autant plus fâcheuses que cette partie contient le détail des états mystiques du P. Surin, ce qui rendait plus désirable encore la reproduction fidèle du texte original. Le chapitre 1er répond au chapitre 1er de l’imprimé ; le chapitre II à II et III jusqu’au début de la page 301 ; le chapitre III à la fin du chapitre et au chapitre IV ; le chapitre IV aux chapitres I et II du second livre ; le chapitre V au chapitre III ; le chapitre VI aux chapitres IV et V ; le chapitre VII au chapitre VI, mais l’ordre y est renversé ; le chapitre VIII au chapitre VIII ; le chapitre IX au chapitre XI, mais très abrégé ; le chapitre X à VII, VI, V en partie ; le chapitre XI à VI à partir de 313, mais extrêmement abrégé ; le chapitre XII en partie aux chapitres IX et XIII ; le chapitre XIII au chapitre X ; le chapitre XIV au chapitre XII, jusqu’au milieu de la page 360. En somme de tout l’ouvrage, cette partie qui est la plus intéressante pour les études de mystique est aussi celle que a été le plus maltraitée dans l’édition de 1828. Le texte original renferme des pages fort curieuses et quelques-unes d’une réelle beauté.

IV. La quatrième partie de la Science expérimentale, ramène à la possession de Loudun et n’a été conservée que sous la forme de « deuxième partie de la science expérimentale contenant des réflexions sur les vérités qui ont été déduites dans la partie précédente », c’est-à-dire la première partie. J’ai cité dans l’article précédent les textes démontrant que, primitivement, elle formait bien la quatrième partie de la Science expérimentale, comme en témoigne en particulier la note liminaire du manuscrit B N 145.96 et le titre du chapitre 13e conservé par l’éditeur de1829 ; « Conclusion sur cette je partie qui est une réflexion sur la matière de la possession. » Elle comprend seize chapitres, assez fidèlement reproduits par l’éditeur de 1829, sous ce titre : « Section seconde contenant des réflexions sur les vérités qui ont été déduites en la première section » [31]. Il y a surtout une lacune à la fin du chapitre 10, p. 270, répondant à deux pages du manuscrit et environ un peu plus de trois pages de l’imprimé. Çà et là quelques abréviations. Les titres des chapitres sont fidèlement reproduits, sauf de rares altérations. L’ouvrage se termine en réalité au bas de la page 302. Les pages 303-304 sont la finale de la 2e partie, décrite plus haut, c’est-à-dire du récit des tribulations du P. Surin, de 1639 à 1663.

B

DEUXIÈME ÉDITION DE LA SCIENGE EXPÉRIMENTALE
ET DU TRIOMPHE

Nous ne possédons plus sous sa forme primitive, la Science expérimentale, avec ses quatre parties telles qu’elles viennent d’être décrites. Les manuscrits où elle est conservée appartiennent tous à une édition nouvelle où l’ensemble se trouve démembré et reclassé : la Ire et la IVe partie unies sous le titre de Science expérimentale, divisée en deux parties ; la IIe et la IIIe jointes, en conservant illogiquement leur titre ancien (IIe et IIIe partie de la Science expérimentale), au Triomphe de l’amour divin, dont elles forment, en effet, la suite naturelle, au moins chronologiquement, et dont elles se rapprochent par le caractère plus narratif que démonstratif de leur contenu. C’est l’état actuel des manuscrits contenant l’œuvre authentique du Père Surin [32]. Il n’est pas possible de fixer la date à laquelle s’est faite cette transformation. Il est peu probable qu’elle remonte au P. Surin lui-même.

Toutefois, les manuscrits de la Science expérimentale, réduite à deux parties (la 1re et la IIe désormais dénommée seconde), présentent une particularité curieuse : le Ier et le IIe chapitre existent en deux rédactions. La plus ancienne vient en second lieu après un titre spécial suivi d’une courte note déjà rapportée. La 1re partie débute par un Ier chapitre, assez court ; c’était, comme on l’a vu plus haut une sorte d’introduction rappelant en quel état spirituel se trouvait Jeanne des Anges, au moment de l’arrivée à Loudun du P. Surin et l’offrande que celui-ci fit à Dieu de souffrir pour qu’elle en fût délivrée (fo 14-15). Le second, plus long, exposait « comment le Père sentit la présence du démon en sa personne et ses opérations et comment N. S. lui fit la grâce de résister. » Il entrait à ce sujet dans [es détails les plus réalistes (f° 15v-17r). Suit le chapitre III, avec ce titre : « Des autres attaques que les démons firent sentir au Père et comme quoi il ne reçut aucun préjudice de rien, N. S. le délivrant de tout ».

Mais tout au début du manuscrit se trouvent quelques pages (B.N. 145.96, f° I-12v) contenant le même titre suivi d’une préface. « On peut par deux voies savoir — un service pour l’éternité. » Puis, de nouveau, le titre « Science expérimentale… » accompagné cette fois de : « divisée en deux parties. Première partie où sont les arguments qui prouvent par une véritable expérience l’autre vie et les choses qui la concernent. » Suivent chapitre I et chapitre II avec un titre et, un contenu tout nouveaux (f° 2v-12v) ; puis le chapitre troisième avec ce titre, lui aussi nouveau : « Des autres expériences que le Père eut, par lesquelles se prouve l’autre vie et se démontrent les choses que la foi nous en apprend. » Une note qui suit immédiatement ce titre, donne la clé de l’énigme, en rappelant les premiers mots du chapitre III primitif :

« Toutes les choses que nous avons dites au chapitre précédent » ; aller à la marque et omettre tout ce qui se trouve écrit entre ci et cette marque, car encore que ce soit ainsi qu’il a été écrit la première fois, on a trouvé néanmoins depuis qu’il était bon d’ôter tout cela et de mettre en la place [ce] que nous venons d’écrire, à cause que toutes les âmes ne sont pas capables de tout et qu’il vaut mieux taire ce qui peut nuire à quelques-uns. Il faut donc sauter prés de cinq feuilles.

De fait, entre cette note et le début du chapitre 3 primitif auxquels appartiennent les premiers mots de cette note, il y a les fos. 13-17r. Le P. Surin a donc, pour les motifs qu’il indique, composé à nouveau les I et II chapitres bien que le manuscrit nous ait conservé heureusement à la suite les anciens. C’est la rédaction placée tout au début des manuscrits. Le titre du premier chapitre de contenu tout autre que la première rédaction est maintenant : « Abrégé de l’histoire de la possession des Ursulines de Loudun ». Ce chapitre (f° 2v-7v) est’ beaucoup plus long que le premier chapitre primitif et résume toute l’histoire de la possession, en s’appesantissant surtout sur la période antérieure à l’arrivée à Loudun du P. Surin. Il est donné en guise d’introduction au Triomphe, dans l’édition de 1829 (pp. 1-10), mais seulement jusqu’au f° 5v. La suite est partiellement intercalée un peu plus loin, au chapitre 1er, pp. 13-14, 16-18. Le chapitre II a maintenant pour titre : « Comme quoi le P. Surin étant dans son emploi eut des marques évidentes des choses de l‘autre vie et comme il en sentit les effets en sa personne. » Il y raconte ses débuts à Loudun, l’épisode, concernant Madeleine Boinet, et celui de Cohon, évêque de Nîmes et passe alors seulement au récit de l’obsession, sujet primitif de ce second chapitre, en abrégeant certains détails. Puis il ajoute : « Pour proportionner ce chapitre avec les autres, il me semble à propos de continuer ici ce que nous avons entrepris au chapitre précédent qui est de faire un abrégé de l’histoire. Nous avons là coupé trop court ce qui concerne la fin ; il faut donc dire que la Mère ayant été délivrée de quatre démons qui étaient en elle, après la mort du P. Lactance, etc. [33] ». Le P. Surin y poursuit sa propre biographie depuis le retour définitif à Bordeaux, en racontant notamment la chute de S. Macaire (1645), puis il revient à la Mère Jeanne des Anges pour signaler les merveilles opérées par la « sainte onction » et la rénovation de noms. Il termine en renvoyant à l’Histoire (Triomphe) « qui ne peut point encore être produite… au moins en son entier… Cependant, conclut-il, le lecteur jouira de cet abrégé qui lui donnera peut-être goût pour davantage, qui viendra dans peu de temps. » Probablement pour éviter des répétitions, puisque les faits mentionnés dans la deuxième partie de ce chapitré reviennent plus loin, les deux manuscrits de Sens et de l’École Sainte-Geneviève, ont coupé court beaucoup plus tôt. Ils s’arrêtent au moment ou le P. Surin va parler du voyage de Savoie et terminent ainsi le 2e chapitre : « son obsession l’avait conduit à de grandes souffrances qui lui durèrent plus de 28 ans (B. N. 145.96, avec raison a 18) et ne sont pas encore finies, le P. surin fut aussi envoyé avec un Père de la Compagnie on Savoye, ainsi que je l’ai rapporté fort au long ailleurs et sa chute faite à Saint-Macaire avec toute la suite des maux que j’y ai enduré. » Le caractère adventice de cette phrase se découvre de lui même : bien qu’à la 1er personne, elle n’est pas du P. Surin mais de celui qui a arrangé la 2e édition de la Science. Puisque seule la 1er et la 2e parties étaient conservées, il était possible de faire allusion aux passages de la 2e et de la 4e qui maintenant étaient considérées comme faisant partie d’un autre ouvrage. Il importe de retenir le titre du chapitre Ier : Abrégé de l’histoire de la possession des Ursulines de Loudun. Il nous a valu en grande partie l’étrange brouillamini des titres que l’œuvre du P. Surin présente dans les manuscrits comme dans l’imprimé de 1828. On a transporté indûment à tout l’ensemble ce titre qui n’était vrai que du premier chapitre.

L’édition du « Solitaire »

Tel était l’état des choses et des manuscrits vers la fin du dix-septième siècle. Il ne faut pas le perdre de vue. A-t-il vraiment existé un manuscrit unique où les deux ouvrages primitifs étaient fondus en un seul comprenant quatre parties, telles que les décrit dans sa préface le Solitaire dont il va être question et à sa suite l’édition de 1829 dont j’ai rapporté plus haut les paroles. Ce n’est pas absolument sûr, malgré leurs affirmations, car on n’a jusqu’ici retrouvé aucun manuscrit ainsi constitué mais seulement ceux que je viens de décrire : d’une part, la Science expérimentale en deux parties, répondant à la Ie et à la IVe primitives ; d’autre part, le Triomphe et à la suite, soit immédiatement soit après quelques lettres du P. Surin, la 2e et la 3e partie de cette même Science.

On ne peut nier que dans les deux ouvrages ainsi rapprochés il n’y ait beaucoup de répétitions et de longueurs. C’est sans doute ce qui donna l’idée à un inconnu qui se nomme seulement « personne solitaire », peu après la publication anonyme du pasteur Aubin, l’Histoire des Diables de Loudun (1694), peut-être en 1697, de remanier et de refondre en un seul ouvrage les deux écrits du P. Surin. Plusieurs manuscrits [34] ont conservé cette adaptation sous le titre suivant : « Abrégé de la vraie histoire de la possession des religieuses Ursulines de la ville de Loudun, au diocèse de Poitiers, arrivée en l’an1632 et qui a duré plusieurs années, écrite parle R. P. Jean-Joseph Seurin de la Compagnie de Jésus, exorciste pendant trois ans des dites religieuses. Rédigée en ordre et divisée en trois parties par une personne solitaire » [35]. « Première partie qui contient en général plusieurs choses considérables concernant cette possession. On y voit des preuves incontestables de sa réalité. Écrite à Paris en 1704. » Immédiatement après viennent deux pièces qui se rapportent en réalité à tout l’ouvrage : l’avertissement au lecteur et la préface. Je transcris ici la partie de l’avertissement où la « personne solitaire » fait connaître comment elle a compris et exécuté son travail [36].

M’étant tombé entre les mains des manuscrits de l’Histoire de la possession des religieuses Ursulines de Loudun, qu’on m’assura être une véritable copie de ce qu’en avait écrit le R. P. Seurin de la Compagnie de Jésus, qui avait été exorciste pendant 3 ans, et qui avait conduit cette affaire avec une sagesse toute divine ; en sorte qu’il chassa les démons et établit les religieuses dans un état de grandes perfections, comme je goûtais beaucoup ses écrits et que je savais qu’ils avaient été lus d’un grand nombre de personnes, que plusieurs doctes les avaient goûté, aussi bien que les simples et que tous généralement en avaient été édifié, je pris le dessein, mon cher lecteur, de faire un abrégé de cette histoire et de la rédigé dans un autre ordre que celui qui est dans les manuscrits, c’est-à-dire, dans celui où je vous la présente, ayant confronté cette histoire, avec les autres ouvrages de cet auteur qu’on a imprimé, afin de m’assurer d’avantage si elle était de lui. Je trouvai que c’étaient le même style et la même doctrine pleine de la lumière et de l’onction du Saint-Esprit, ce qui me fit espérer que cet ouvrage ne serait pas moins utile et moins agréable que ceux de ce digne auteur qui avaient déjà été mis au jour et afin que ceux qui ont vu cet ouvrage en manuscrit soient assurés que c’est le même sur lequel j’ai travaillé, et qu’on sache ce que le P. Seurin a écrit sur cette matière, je veux ici en faire le détail.

L’ouvrage du P. Seurin sur le sujet de la possession de Loudun contient 4 parties… [J’omets cette description].

Voilà; mon cher lecteur, ou on pourra connaître que cet abrégé est fidèlement conforme a l’ouvrage du P. Seurin, témoin oculaire des faits de cette possession et on en sera entièrement persuadé en lisant l’un et l’autre parce qu’on y trouvera les mêmes matières.

Cependant je n’ai pas suivi l’ordre et l’arrangement des matières, ni la division du P. Seurin, pour des raisons qui ont paru légitimes à plusieurs personnes afin d’éviter la confusion et les redites qui se trouvent dans son ouvrage ayant été composé à plusieurs reprises pendant l’espace de vingt-cinq ans.

J’ai divisé cet abrégé en trois parties ;

I. — La 1re contient en général plusieurs choses considérables qui concernent cette possession. On y trouvera des preuves sensibles et incontestables de sa réalité.

II, — La 2e contient en particulier ce qui regarde la possession de la mère prieure ; comme elle fut conduite par le P. Seurin son exorciste. Comme elle fut délivrée et les miracles et prodiges arrivés devant et après cette délivrance.

III. — Là 3e contient le récit des grandes peines du P. Seurin et des grâces extraordinaires qu’il reçut du ciel pendant cette possession et ensuite tout le reste de sa vie pendant plus de 2o ans.

Je n’ai rien altéré de l’essentiel de l’histoire. Il est vrai que j’a retranché plusieurs choses qui m’ont paru ou trop longues et trop ennuyeuses, ou peu propres pour toutes sortes de personnes comme le P. Seurin en avertit lui-même : mais cela ne regarde point le fond  de l’histoire ni les faits de la possession. Il est aussi vrai que j’y ai ajouté quelques réflexions de temps en temps, et quelques articles qui lui donneront quelque ornement. Ce que j’y ai ajouté de faits, je l’ai pris en plusieurs, petits livres que les autres exorcistes de cette même possession firent imprimer à la Flèche en 1634 et 37 chez Georges Grivaux, sur des faits dont ils étaient témoins oculaires.

Voici en particulier ce que j’ai ajouté et tiré de ces livrés :

1. J’ai ajouté la manière chrétienne avec laquelle les Juges de Grandier examinèrent son procès. Quelques circonstances de sa mort et ce que les démons dirent de ses peines de l’enfer, 1re partie, livre 1, chapitre 3, 4, 5.

2. Ce que les démons ont rapporté de la chute de Saint-Macaire, le jeune et de Saint-Martinien, 1re partie, livre 2, chapitre 7.

3. Pour plusieurs circonstances de la conversion de M. Queriolet rapportée en la 1er partie, livre 2, chapitre 15. Je les ai tiré de sa vie composée parle P. Dominique de Sainte-Catherine, carme et imprimée l’an 1663 chez Firmin Lambert, rue Saint-Jacques à Paris.

4. J’ai pris tout ce que j’ai rapporté de la conversion d’un jeune avocat en la 1er partie, livre 2, chapitre 16, 17, 18, 19 dans un des petits livres qui fut fait exprès.

Je n’ai rien ajouté à la 2e partie que l’abrégé de la vie de la Mère Jeanne des Anges, prieure des Ursulines de Loudun, qui sert de préface et je l’ai composé sur les mémoires qui m’ont été fournis par les religieuses de ce couvent. Il y a aussi à la fin un chapitre de réflexions que l’on voit assez être ajouté.

Je n’ai rien aussi ajouté à la 3e partie que l’abrégé de la vie du P. Seurin qui sert de préface, et que j’ai recueillie de la vie que M. Boudon grand archidiacre d’Evreux a donné au public, comme aussi le 1er chapitre qui sert d’introduction.

[Suivent des réflexions sur la valeur apologétique de cette histoire].

Fasse le Ciel que ce petit abrégé profite à quelques âmes.. C’est le but de la personne qui vous le présente, cher lecteur et qui met pour cet effet l’ouvrage sous la protection de la Sainte Vierge et de S. Joseph. Comme ils ont eu beaucoup de part à cette affaire, par les puissantes assistances qu’ils ont donné à ces pauvres religieuses affligées, il y a lieu d’espérer qu’ils attireront encore les bénédictions du ciel sur cet écrit et que Dieu sera glorifié. C’est tout mon désir.

Vient ensuite la préface du P. Seurin : « On peut savoir les choses de la vie » suivie de cette note : « Cette préface se trouve à la tète de la 4e partie de l’ouvrage du P. Seurin sur la possession de Loudun, laquelle est intitulée Science expérimentale » .

Elle est suivie de l’Introduction au récit de cette possession, où l’auteur signale à nouveau la valeur d’édification de la possession et de sort histoire. Après avoir exalté les mérites du P. Surin, il continue :

Il écrivit même en partie l’histoire de cette possession, pendant ses peines, sans avoir aucun dessein de faire imprimer cet ouvrage quoi que Dieu lui donna au fond du cœur espérance que quelqu’un le ferait après sa mort. Il donna toute cette histoire écrite de sa main a une personne confidente lui recommandant particulièrement de ne la point communiqué pendant sa vie, et à peu de gens après sa mort, à cause qu’il y décrit au long et en détail, les peines infernales qu’il avait enduré, et les grâces extraordinaires qu’il avait reçues de Dieu, ce qu’il ne jugeait pas à propos ne faire connaître à toutes sortes de personnes. C’est ce qui nous en a dérobé la connaissance jusqu’à présent. Ceci n’a pas été sans un ordre exprès de la divine Providence, qui ayant fait un si grand bien dans le dernier siècle, s’est contenté que ceux qui vivaient dans ce temps en fussent informés, par les témoins oculaires, et qu’à présent qu’ils sont morts ont la mette au jour. Et peut-être Dieu donnera-t-il tant de bénédictions à cet ouvrage qu’il fera les mêmes effets dans les âmes de ceux qui le liront, que la possession en a fait dans ceux qui l’ont vu et peut-être que la gloire que Dieu en tirera ne sera pas moins grande. C’est la seule chose que je désire. Je proteste et que j’ai été fidèle abbréviateur du P. Seurin et si cet ouvrage mérite une approbation favorable, la gloire en doit être à Dieu et au P. Seurin ; rien ne m’en doit être attribué que les défauts que l’on y trouvera.

Je crois inutile d’entrer dans le détail de la composition de cette révision qui ne présente pas d’intérêt par elle-même. En la rapprochant de l’Histoire de 1828, il est aisé de constater qu’elle en forme la substance, en dépit de la différence de numérotation des parties (la troisième a été dédoublée en III et IV) et des chapitres. On a seulement supprimé nombre d’additions répondant à des tendances particulières (p. c. la polémique contre Aubin) et soigneusement signalées par les manuscrits. Au début de la IIe partie le manuscrit de Saint-Sulpice 4384 donne à part la vie de Jeanne des Anges avec cette indication : « Préface qui contient un abrégé de la vie de Jeanne des Auges qui n’a pas été composée par le P. Seurin mais on l’a ajoutée pour servir d’introduction (Histoire, 1828, p. 92-103, où la pièce est donnée aussi à part et comme écrite par les Ursulines de Loudun). Entre les trois manuscrits principaux, il y a des variantes qu’il est inutile de relever ici. Il faut remarquer seulement que Saint-Sulpice 4384 divise déjà la première partie en deux livres (11 et 22 chapitres) comme l’imprimé. Saint-Sulpice 4381 supprime les sept premiers chapitres de la seconde partie qui ne contient ainsi que 32 chapitres, alors que les deux autres en ont 39 (ou 40).

L’ÉDITION DE L’« ECCLÉSIASTIQUE »

Un certain nombre de manuscrits [37] contiennent un remaniement de l’édition précédente ainsi présenté (à quelques variantes près, insignifiantes) :

La science expérimentale ou l’histoire véritable de la possession des religieuses ursulines de Loudun au diocèse de Poitiers, arrivée à l’année 1632 jusqu’en 1638, par le Révérend Père Surin de la Compagnie de Jésus exorciste de ces mêmes religieuses — ouvrage divisé en trois parties par un solitaire, et réduit en un meilleur ordre par un ecclésiastique lequel pour appuyer la vérité de cette histoire y a ajouté plusieurs faits remarquables, tirés de ses expériences ayant lui-même pris soin de plusieurs possédés secrets et de l’ordre exprès de son prélat durant plus de 20 ans, en forme d’annotation sur les deux livres.

Deux manuscrits de la Mazarine et de la Bibliothèque Nationale, donnent à la suite cet Avis qui fait connaître l’œuvre propre de l’ecclésiastique :

L’histoire de la Possession des Religieuses de Loudun étant tombée entre mes mains sans presque aucun ordre, j’ai cru, comme elle n’est point encore imprimée, pour l’utilité des lecteurs devoir la mettre d’une manière plus régulière : ainsi, sans rien retrancher d’essentiel, j’ai mis des chapitres avec des titres, où il n’y en avait point, évité les répétitions, et ce qu’il y avait d’inutile, éclairci les endroits non intelligibles, en sorte qu’elle parait maintenant, un vrai corps d’histoire. J’y ai ajouté un abrégé de la vie de ce Saint homme et un autre de celle de la Mère Jeanne des Anges.

Un extrait de la dernière partie de l’introduction rapporté déjà plus haut est donné sous le titre : Avis du solitaire, et précède immédiatement l’histoire proprement dite distribuée en quatre parties, chacune comprenant deux livres avec le même ordre et le même nombre de chapitres que dans l’imprimé de 1828.

LES ÉDITIONS IMPRIMÉES DE 1828 ET 1829

Les détails qui viennent d’être donnés dispensent d’entrer dans de longs détails à ce sujet. L’Histoire abrégée de 1828 n’est autre [que le remaniement du « solitaire » et de l’« ecclésiastique » allégé d’un assez grand nombre d’additions dans le corps de l’ouvrage et des divers avis ou préfaces, remplacés par un nouvel avertissement de l’éditeur. Elle contient donc, dans la première partie surtout, des chapitres entiers étrangers à l’œuvre du P. Surin : celle-ci assez respectée quant au fond, pour la IIIe et IVe partie (ou elle a subi de notables abréviations), n’est que très imparfaitement reproduite dans les deux premières où, en plus des additions étrangères, il y a un certain mélange du Triomphe et de la Science expérimentale. Bref pour ces deux premières parties, l’ouvrage ne saurait être cité comme œuvre du P. Surin que sous bénéfice d’inventaire.

On a vu plus haut que l’édition de 1829 (Triomphe et Science expérimentale) respecte beaucoup plus le texte même du P.  Surin, n’y ajoute rien d’étranger mais lui fait subir aussi des modifications et des suppressions telles qu’il n’y est qu’assez imparfaitement représenté. J’ajoute que la divergence des titres de ces ouvrages d’origine si différente, et leur accumulation, sans aucun souci de leur accord avec le vrai contenu, reflète directement l’incertitude et la confusion qui règnent à ce sujet dans les manuscrits, surtout ceux qui reproduisent soit la recension du « solitaire » soit celle de « l’ecclésiastique » [38].

En somme l’édition de l’autobiographie du P. Surin est encore à faire. La tâche n’est pas très malaisée : il suffira d’écarter tous les remaniements postérieurs et de se reporter au petit nombre de manuscrits qui ont conservé le texte primitif [39].

Ferdinand CAVALLERA

NOTES

[1] II-365 pages, plus sept pages de table. Imprimé à Troyes, chez Cardon.

[2] XI-310 pages. En faux titre : Œuvres posthumes du P. Surin.

[3] Avis, p. V-Vij.

[4] La question serait encore plus embrouillée si une troisième publication n’était autre chose qu’une supercherie littéraire. En 1830, paraît à Paris, chez l’éditeur, rue Bagneux, n° 4, faubourg Saint-Germain : Le triomphe de l’amour divin ou l’Histoire abrégée de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du P. Surin, ouvrage inédit faisant suite à ses œuvres. C’est l’ouvrage même de 1828 ; on s’est contenté, comme il est facile de le vérifier, de coller sur le frontispice primitif une feuille nouvelle avec le titre qui vient d’être transcrit. L’ancien titre se lit par transparence sans qu’il soit besoin de décoller.

[5] L’Homme de Dieu en la personne du R. P. Jean-Joseph Seurin, édition Périsse, de 1826, t. 2, 122-123.

[6] Cette citation est empruntée au n. 269 de Sources et Bibliographie, par où débute l’Appendice à son ouvrage inédit : La vérité sur le drame de Loudun. Il n’a d’ailleurs pas touché au problème que je discute et adopte purement et simplement ce que dit l’éditeur de 1829. Voici les premières lignes de cette notice : « Histoire de la possession des religieuses Ursulines de Loudun, par le P. Surin. Cette histoire dont le vrai texte est en grande partie inédit, comprend quatre parties avec deux titres particuliers [qu’il reproduit plus loin, avec le nombre des chapitres et rapproche des textes de 1828 et 1829n pour fixer leur degré de parenté]. L’auteur écrivit à Loudun en 1635-1636, avant son premier départ, les cinq premiers chapitres et la presque totalité du sixième de la première partie. Au mois d’août 1660, il reprit la rédaction. La 4e partie fut commencée à Saint-Macaire, le 23 août 1663 et terminée en 1665, peu de temps avant la mort de l’auteur (22 avril 1665). »

[7] J’ai vu moi-même plusieurs de ces manuscrits et j’utilise pour d’autres, soit la copie qu’en a fait prendre le P. Michel, soit l’analyse plus ou moins détaillée que renferment ses papiers.

[8] MICHEL, 1. 1.

[9] Note biographique déjà signalée.

[10] Le premier titre est celui qu’indique le P. Surin, le second celui que donnent les manuscrits.

[11] Il est fait allusion à ce même fait dans une lettre inédite à la Mère Jeanne des Anges, qui date exactement de ce temps et qui sera citée page 169 (Manuscrit de Saint-Pétersbourg, n. 90, 1. 23, du 26 août 1663) : « Vous ne me demandez rien sur Me N. [Houx] ni elle non plus. Je verrai si vous pensez à me répondre et cela dans peu, car il ne faut pas tarder à cause de la résolution qu’il me faut prendre pour ce que je vous ai dit de mon voyage vers M. de N. pour le mettre en emploi sur votre histoire. Le principal néanmoins de cette histoire est ce que vous m’avez envoyé dans le gros paquet de ce que nous avons vu nous-mêmes [l’autobiographie de Jeanne des Anges et le Triomphe du P. Surin] et cela ne peut pas être mis au jour ni être mêlé dans le gros de l’histoire. Je crois qu’après notre mort il servira beaucoup au bien des âmes et je crois que Notre-Seigneur ne permettra pas que cela s’abolisse de la mémoire des hommes. Vous en devez avoir par devers vous quelqu’autre exemplaire que celui-ci. En cas que vous n’en eussiez pas, vous me le devriez mander, afin que je vous le remette avec mon original de ce qui est pour la fin. » Et plus explicitement, dans la lettre suivante des 15-17 septembre 1663, à la même (Ibidem 1. 96 : « J’attends que vous envoyiez les papiers que Me du Houx vous aura donnés pour servir de matériaux à M. Ponson pour votre histoire, selon que je vous ai fait parler si souvent. »

[12] Il y a entre les deux textes une divergence qui ne fait qu’accuser l’identité d’origine.

[13] Ici comme plus haut produire ne signifie pas composer, mais divulguer.

[14] C’est-à-dire : ne les comprendraient pas.

[15] Chose curieuse dans l’édition de 1829, ce passage constitue la finale de la Science (303-304) et vient après la fin réelle de l’ouvrage (il se termine au bas de la page 302).

[16] Effectivement, en 1663, la Saint-André tombe un vendredi.

[17] Voir plus haut, note à la page 13, un long extrait de cette lettre et un autre de la suivante où il est question de la préparation d’une histoire de la possession de Loudun, par M. Ponson, et des écrits que Jeanne des Anges et le Père Surin avaient composés sur ce même sujet.

[18] Le titre est donné directement par le P. SURIN (Science expérimentale, 4e p., ch. 6, cf. édition de 1829, p. 245). Les manuscrits donnent : « … en la possession de la Mère supérieure des Ursulines de Loudun, exorcisée par le R. P. Jean-Joseph Surin, de la Compagnie de Jésus », L. 301 bis et Sens 364 ; B. Maz. 2141 a : « en la possession de la prieure des Ursulines » : S. Saint-Pétersbourg A 384 et Bordeaux : « en la délivrance de la Mère supérieure. » L’édition de 1829 lit comme L. et Sens mais en omettant l’article initial, omis au faux titre de certains manuscrits.

Nous disposons pour l’étude de cet ouvrage des manuscrits suivants : L. 301 bis (XVIIe siècle), autrefois à la Bibliothèque de l’École Sainte-Geneviève, f. 1-315, il est suivi de la 2e et de la 3e parties de la Science expérimentale ; — Sens 164 (XVIIe siècle) avec des notes et des corrections de son possesseur Taffoureau, évêque d’Alet, ancien doyen du chapitre de Sens, f. 1r-191v. L’ouvrage se continue, de la même main, avec double pagination, par quatre lettres de Surin (1-20 = 1930-212) et par la 2e et la 3e parties de la Science expérimentale, comme dans L (1r-240r = 213r-449r) ; — Bibliothèque Mazarine 2141, qui présente cette particularité de donner d’abord la partie composée en 1636 (p. 1-200), puis la 2e et la 3e parties de la Science expérimentale (sic) ; puis la continuation de 1660 (p. 640-776) mais avec une numérotation spéciale des chapitres 7 à 15 au lieu de fin 6 à 14, comme dans les autres manuscrits. Le texte du Triomphe seul est conservé par les manuscrits de la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, fr. A. 387, autrefois propriété du comte A. Zaluski, à Varsovie. M. Hovyn de Tranchère l’avait fait transcrire et en avait préparé l’impression. Sa copie forme à la Bibliothèque de Bordeaux, le manuscrit 1057. Elle signale par deux fois des pages arrachées dans l’archétype de Saint-Pétersbourg. Le Triomphe a été édité à Avignon en 1829, sous le titre rappelé plus haut, mais l’éditeur le fait suivre des mots, Première partie, qui ne se trouve dans aucun des manuscrits signalés. Avignon, Seguin, 1829, p. 1-147. On indiquera plus loin les altérations principales particulières à cette édition.

[19] L. 301 bis, p. 1-2 ; Sens 364, f. 1r-v ; Maz. P. 4 ; Saint-Pétersbourg, f. 35 ; Bordeaux, p. 15. L’édition de 1829 omet cette préface, parce qu’elle a emprunté en guise d’introduction l’Abrégé de la Possession des Ursulines de Loudun, qui forme le premier chapitre de la Science expérimentale, première partie. Elle n’en transcrit d’ailleurs que les premières pages, racontant la possession jusqu’à l’arrivée du P. Surin à Loudun, cf. B. Nationale fr. 145 96, f. 2v-5v. Les manuscrits de Saint-Pétersbourg et de Bordeaux ont également cet abrégé avant la préface du P. Surin.

[20] Sur cette « sainte onction », voir Histoire abrégée, 1828, pp. 182-184. Bien entendu nous écartons complètement ici la question de la réalité de la possession et des phénomènes qui s’y rattachent.

[21] RAM, 1925, VI, p. 144, où est donné tout au long le titre.

[22] L. 301 bis, p. 134-138.

[23] La copie de L. porte : tout de ; l’imprimé : de tant.

[24] Ce qui suit est omis par l’édition de 1829.

[25] L. 301 bis, p. 191-195 et 195.205 ; Sens164, 116r-118v et 118v.124r ; le manuscrit de la Mazarine ne les donne pas mais insère ici la 2e et la 3e parties de la Science expérimentée (sic), ne donnant qu’ensuite la Continuation, peut-être parce qu’il utilisait deux manuscrits. Les manuscrits, de Saint-Pétersbourg et de Bordeaux donnent aussi les documents. Le premier est un récit plus détaillé, que Surin refera en abrégé quelques pages plus loin en insistant beaucoup plus sur les antécédents que sur les circonstances même du fait. Il est reproduit avec des additions dans l’Histoire de 1828, 2e partie,1. II, ch. 4, p. 173-176. Le second document se retrouve également plus ou moins paraphrasé et mis en style direct aux chapitres 5 et 6 du livre second de la 1ère partie de l’Histoire, p. 36-41, et au ch. 9, p. 47-48 (sur l’oraison infuse).

[26] S. François de Sales n’est point nommé, mais c’est lui évidemment qui est visé : « Dit qu’il savait bien que jamais la douceur de l’amour-propre n’avait tant régné parmi les spirituels qu’en ce siècle et qu’on prenait sujet de quelques personnes éclatantes en sainteté dans ce temps, de se fonder en cette douceur, sans considérer combien elles avaient travaillé antérieurement pour acquérir leurs états. C’est par là, disait-il, que nous en attrapons beaucoup qui, négligeant la mortification des sens pensent être plus haut devant Dieu qu’ils ne sont et sous couverture de charité font couler leurs satisfactions jusqu’aux amitiés périlleuses. Oh ! que j’en connais de ceux-là, que j’en visite souvent ! Nous travaillons beaucoup parmi les spirituels et savons bien leur faire couler, des maximes pour éviter les rigueurs de l’abnégation évangélique. » Si l’on veut se faire une idée des rapports de l’imprimé, avec le texte authentique, quant au style, il suffit de comparer cette citation avec la page 36 de l’Histoire de 1828.

[27] Il est inutile d’entrer dans le détail des modifications. A signaler seulement au chapitre 1er, p. 11-13, une longue interpolation empruntée à la Science expérimentale, 1ère partie ; une seconde, du même genre, pp. : 16-18. Çà et là des phrases et des développements sont omis. P. 37-38, chapitre 3, le récit de l’obsession est emprunté à l’édition du chapitre 2 de la Science expérimentale ; les titres des chapitres sont parfois abrégés (ch. 5, 6). Divers noms propres sont altérés : lire Doamlup, Ressès ; p. 125, combinaison du texte du Triomphe et de celui de la Science (allusion au duc de Beaufort), etc. Noter au chapitre X, p. 136, la suppression d’une dissertation sur l’origine angélique du prodige des noms renouvelés sur la main de Jeanne des Anges. Le chapitre XIII est complètement omis. Beaucoup de suppressions dans le texte des deux précédents, et du suivant, comme l’éditeur le fait remarquer expressément pour ce dernier (p. 146). Le texte authentique finit là. La page 147 est étrangère au Triomphe et empruntée à l’abrégé qui ouvre la 1ère partie de la Science expérimentale, avec des modifications. Tout le chapitre X est d’ailleurs remanié à l’aide de passages correspondants de la Ire partie de la Science expérimentale.

[28] Il donne cette première partie sous ce titre spécial : « Section première. Arguments qui prouvent les choses de l’autre vie » (pp. 151-197). La Science expérimentale occupe les pages 149-304 du volume, après le Triomphe.

[29] Pages 209-292.

[30] Pages 293-365.

[31] Pages 198-304.

[32] Le Triomphe n’a été conservé isolément que par le manuscrit de Saint-Pétersbourg A. 387 et sa copie, Bordeaux 1097. Encore faut-il remarquer qu’il y est précédé, comme dans l’édition de 1829, d’une pièce (Abrégé de l’histoire…) qui n’est autre que le chapitre I de la seconde rédaction des deux premiers chapitres de la Science, 1ère partie, dont il va être question dans le texte. Les autres manuscrits se groupent ainsi : Triomphe et IIe et IIIe parties de la Science expérimentale : Mazarine 2241 ; Sens 164 ; L. 301 bis (anciennement à l’École Sainte-Geneviève). — Science expérimentaledivisée en deux parties (c’est-à-dire la Ire et la IVe primitives : B. N. 145.96, Sens 963, un autre manuscrit anciennement à l’École Sainte-Geneviève.

[33] B. N. 145.96, f° 10r.

[34] On connaît trois manuscrits complets de cette recension : un manuscrit de Chartres, 1686, et deux manuscrits aux archives de Saint-Sulpice (4384 et 4381). Celui dé Chartres a été écrit à Paris en 1704 ; le 2e en octobre/novembre 1729 par « Sœur Marie-Madeleine Françoise, religieuse indigne des Annonciades célestes de Paris », le 3e est postérieur au précédent qu’il a, semble-t-il, utilisé, bien qu’il se rapproche davantage de celui de Chartres. Un manuscrit incomplet (il va jusqu’au chapitre 12 du livre second de la Ire partie), autrefois à l’École Sainte-Geneviève, provient également du monastère de l’Annonciade céleste de Paris, où il a été transcrit le 21 septembre 1729. Le P. Michel pensait que c’est sur l’exemplaire de Saint-Sulpice 4384. Cependant si la date de transcription de ce dernier, pour le début, n’est pas indiquée, la Ire partie est signalée comme achevée le 26 octobre, le IIe le 1er novembre, la IIIe le 12 novembre. Il semble donc que c’est plutôt sur un archétype commun qu’a dû avoir lieu la transcription, le manuscrit de Sainte-Geneviève ayant été interrompu avant que ne fût commencé celui de Saint-Sulpice

[35] Ce titre dans Chartres 1686 est précédé du suivant (f. 32) qui eût comme le titre général de l’ouvrage : « L’histoire de la possession des religieuses Ursulines de la ville de Loudun écrite par le R. Père Jean-Joseph Surin de la Compagnie de Jésus, exorciste, divisée en trois parties. Première partie qui traite en général de cette possession. Transcrite à la Flèche en l’année 1697. » Il est difficile de voir le sens de cette dernière affirmation puisque immédiatement après il est dit que la première partie est écrite à Paris en 1704. Serait-ce simplement une note du « Solitaire » visant l’exemplaire d’après lequel il compose son remaniement ? Les divers manuscrits offrent au titre des variantes sans importance.

[36] Il ne se trouve que dans les manuscrits de Chartres et de Saint-Sulpice 4384. Dans Saint-Sulpice 4381, il y a cette note, au haut du verso de la feuille de garde: « Il manque icy l’avertissement au lecteur du manuscrit du R. P. Le Sage, jusqu’au petit cahier et il le faut copier. »

[37] Les divers manuscrits à moi connus de cette recension se ramènent à quatre groupes : 1° Manuscrit d’Amiens 479 et un second autrefois à Saint-Acheul. La première partie y est distribuée en trois livres avec respectivement 5, 5 (6) et 8 chapitres ; les autres en deux livres (10 et 10, 11 et 10, 17 et t3 chapitres). Le contenu et les divisions sont les mêmes dans les deux, bien que le titre général et celui de chaque partie soient différents. 2° Un texte transcrit par le P. Du Gast, dont l’original est au monastère de la Visitation, rue Denfert-Rochereau et des copies au Mans 278 A, à Saint-Sulpice : 4382 et 4383 (de la main du P. Grou), aux anciennes archives de l’École Sainte-Geneviève (L. I, et partiellement L. VIII), etc. 3° Mazarine 2140 : au début de la 3e partie, il insère l’abrégé de la Vie du P. Surin et à la fin de la 2e, comme le manuscrit de Chartres, le récit de l’apparition de la sœur Isabelle. Au1. II de la 1re partie l’ordre des chapitres est différent. On a 14, 12, 13, comme à Saint-Sulpice 4381 et 4384 ; au titre : « par un ecclésiastique solitaire ». 4° Bibliothèque Nationale 25253 apparenté au précédent mais réunissant en une seule la Ire et la IIe partie, de sorte que III et IV deviennent respectivement comme dans l’édition du Solitaire II et III.

[38] Après les renseignements ci-dessus on pourra mieux restituer à chaque titre sa valeur et débrouiller cette confusion. Je rappelle à ce sujet le titre des imprimés. En 1828 : Histoire abrégée de la possession des Ursulines de Loudun et des peines du P. Surin (le titre Histoire abrégée n’était primitivement que celui de la seconde rédaction du Ier chapitre de la Science expérimentale). En 1829, Triomphe de l’amour divin et Science expérimentale. Ce sont les titres des deux ouvrages authentiques du P. Surin. Mais souvent le titre de Science expérimentale en concurrence avec celui d’Histoire abrégée ou d’Abrégé de l’histoire… est donné à toute la compilation du « Solitaire » ou de « l’Ecclésiastique ». En1830, le nouveau titre collé sur l’ancien de l’édition de 1828 aggrave cette confusion : Le triomphe de l’amour divin ou l’Histoire abrégée de la possession des Ursulines de Loudun et des peines du P. Surin. La remarque n’est pas oiseuse car le P. Surin n’a jamais eu l’intention d’écrire l’histoire de la possession et c’est en vain qu’on la chercherait dans son œuvre. Le Triomphe est l’histoire de l’ascension de Jeanne des Anges dans la vie spirituelle, sous la conduite du P. Surin, à l’occasion de la possession ; la Science expérimentale est un ouvrage apologétique démontrant l’existence du surnaturel d’après l’expérience même qu’en a faite le P. Surin, soit à l’occasion de la possession, soit dans ses propres épreuves et états extraordinaires.

[39] Revue d’ascétique et de Mystique N° 22 – Avril 1925 et N° 24 octobre 1925 – Toulouse

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